Numéro 4
Numéro 4 : « La catastrophe : du général au particulier, de l’intime au collectif »
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Comité de rédaction :
Comité de rédaction : Amélie Brito / Vanille Roche-Fogli
Secrétaire de rédaction : Justine Paris
Chargées de communication : Smeralda Cappello / Laura Giancaspero
Comité de lecture : Inès Amami / Lénice Barbosa / Johanna Cappi Thibaut Chaix-Bryan / Claire Couturier / Hamed Djendoubi Eline Grignard / Adeline Liébert / Morgane Maridet Léa Mestdagh / Stéphane Sitayeb
Conception grahique, photographies, mise en pages : Claire Pacquelet (www.icietcote.fr)
Après une pause d’un an dans le rythme de la publication, Vanille Roche-Fogli et Amélie Brito reprennent le flambeau de Traits-d’Union en accord avec Agathe Dumont et Elsa Polverel, désormais docteures. Elles ont veillé au plus grand respect de la ligne éditoriale des fondatrices afin d’assurer le futur de la revue, et à une plus grande répartition des tâches: une nouvelle équipe se constitue alors autour du numéro 4, qui passe de trois à cinq personnes.
Sommaire :
Edito Catastrophe et monstrueux dans un roman du XIXe siècle : l’exemple de Nana d’Emile Zola Nombreuses sont, dans l’œuvre de Zola, les catastrophes socio-politiques où le destin d’un individu est lié à celui d’une foule, surtout lorsque le personnage est qualifiable de monstrueux, en accord avec la lointaine croyance que le monstre est un signe envoyé des dieux. Au dernier chapitre de Nana où l’entrée en guerre de la France contre la Prusse coïncide avec la mort de la cocotte, l’auteur lie la destinée de la jeune femme présentée non sans ambiguïté comme monstrueuse et celle de la société sur laquelle elle a régné un temps. Par un rapport métonymique voulant que Nana incarne l’Empire, le récit se construit sur une alternance entre la chambre de la défunte et la rue où la nouvelle des hostilités se répand ; il crée une confusion entre l’intime et le publique, mettant sur le même plan la décrépitude de Nana et la précipitation du régime. Zola réinvestit ainsi de manière moderne le monstre et exploite un ancestral système d’interprétation du monde où la vie et la mort du personnage monstrueux continuent de faire signe, non plus certes par une divination concrète, mais plutôt, avec autant de force, par ce qu’il serait convenu d’appeler une métaphore divinatoire. Destin et virtuosité : l’interprétation culturelle contemporaine de la catastrophe comme facteur de cohésion sociale Il apparaît que la valorisation contemporaine de la catastrophe, lorsqu’elle est envisagée comme un élément biographique, passe, dans le cadre de l’émergence des personnages mythiques modernes – stars de cinéma, écrivains, musiciens, leader politiques – par le prisme d’une lecture d’un rapport de cause à effet. Tous ces martyrs illustrant, par les conditions de leur décès ou des événements ayant marqué leur vie, un renversement dans le processus de réappropriation de la catastrophe individuelle par la communauté, n’invitent-ils pas à se questionner sur ce que leur célébrité doit à la catastrophe, au sens de « bouleversement », d’événement dramatique donnant du relief, de l’intérêt à un individu ? Nous basant en particulier sur l’exemple de Terry Gilliam, dont on a pu lire qu’il est un réalisateur « habitué aux catastrophes », nous allons voir au travers de quelques-unes de ses œuvres, que sa filmographie en offre en effet des exemples nombreux et variés. De là, nous envisageons d’analyser ici ce qui nous semble être un des aspects contemporains de l’interprétation de la catastrophe, c’est-à-dire la valorisation de la capacité de « résilience » comme facteur de développement de la popularité. Etre musulman et occidental après le 11 septembre 2001 : la catastrophe comme mise en tension de l’identité Claire Arènes & Aliette Ventéjoux Comment être musulman et occidental après le 11 septembre 2001 ? Ce questionnement est au cœur de deux ouvrages explorant la trajectoire de citoyens occidentaux de confession musulmane, The Reluctant Fundamentalist de Mohsin Hamid et The Islamist d’Ed Husain. Après 9.11, le protagoniste du premier ouvrage, considéré comme bien intégré à la société américaine, opte pour le rejet de l’Occident ; alors que le second, initialement ancré dans une appartenance exclusivement confessionnelle, tente la réconciliation entre les dimensions multiples de son identité. Ces parcours en miroir inversé seront étudiés ici pour montrer que la catastrophe est ce qui donne du sens à un trajet personnel. D’une part, elle fonctionne comme un sceau qui vient clore l’ensemble d’un parcours individuel et conduit à en réinterpréter les éléments. Elle permet donc d’attribuer une signification a posteriori à ce qui paraissait en être dépourvu. D’autre part, de cette nouvelle clairvoyance sur le chemin parcouru peuvent jaillir des indications sur la direction à donner au parcours de vie qui s’ouvre dans l’après de la catastrophe. Enfin, ces dénouements, s’ils sont élaborés au singulier, mettent à jour la manière dont les individus en général gèrent l’après de la crise, en négociant identité individuelle et collective.
Les débats sur le Terrorism Act 2006 : une redéfinition politique des droits individuels et collectifs Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres ont constitué une catastrophe particulièrement choquante pour les Britanniques et entraîné une réponse rapide de la classe politique. Très vite, le gouvernement de Tony Blair a proposé de nouvelles lois pour lutter contre le terrorisme. Les débats au Parlement sur ces propositions ont été houleux et permettent de mettre en lumière des conséquences de la catastrophe terroriste à la fois sur le contenu des lois et sur les rapports de pouvoir dans la vie politique britannique. Les attentats ont forcé à une redéfinition des droits des individus et de la collectivité afin de répondre à des considérations politiques et pragmatiques. Les mesures adoptées en réaction à la catastrophe confirment également une redistribution du pouvoir en faveur du pouvoir exécutif, malgré des désaccords au sein du Parlement britannique. Stratégies identitaires face à la catastrophe national-socialiste : l’exemple des exilés germanophones en Bolivie (1938-1945) Dans cet article, nous nous proposons d’étudier les conséquences identitaires de la catastrophe national-socialiste à l’exemple des exilés germanophones en Bolivie. Environ 10.000 Allemands et Autrichiens, juifs et opposant politiques, ont trouvé refuge dans ce pays après avoir été contraints de quitter l’Europe. Ces départs précipités ont engendré un véritable effondrement identitaire : les exilés ont en effet dû laisser derrière eux tous leurs repères identificatoires. L’arrivée dans un environnement très différent de celui qu’ils connaissaient a aggravé cette crise qui a touché les individus dans la permanence de leur être. Mais une fois la sidération identitaire passée, c’est collectivement que les émigrés vont développer des stratégies identitaires diverses pour tenter de se redéfinir : repli communautaire pour les juifs, démarcation politique pour certains émigrés allemands, (re)création d’un sentiment d’appartenance culturel pour les Autrichiens. L’écriture, l’espace intime d’une catastrophe collective : les femmes écrivent la guerre du Liban Dès le début du conflit au Liban (1975-1990), le pays a vu l’émergence d’une génération de femmes écrivant la guerre, les Beirut Decentrists. La notion d’espace évoquée par leur appellation n’est pas anodine. Le conflit libanais a en effet redéfini les espaces de la ville où les lignes de front sont partout, mais aussi les espaces intimes, domaine réservé aux femmes dans la société patriarcale libanaise. Leur profond désir de subversion d’une société d’autant plus cloisonnée que le conflit fait rage pousse ces auteures à briser de nombreuses frontières : frontières du genre, de l’intime, des espaces publics. Au-delà d’une simple fictionnalisation de la violence, les Beirut Decentrists s’adonnent alors à une perpétuelle réflexion sur leur travail de création littéraire, à la recherche d’un territoire hybride entre intime et collectif. Le caractère marginal de leur écriture marque ainsi un espace de fracture qui rend possible la naissance d’autres alternatives de lectures de la catastrophe de la guerre au Liban, nécessaires à l’ébauche d’une construction de la mémoire collective dans un pays où l’écriture de l’histoire reste plus que jamais problématique. La catastrophe d’Une Faille ou la « destruction créatrice » appliquée au lien social Dans Une Faille, un feuilleton théâtral en plusieurs épisodes mis en scène par Mathieu Bauer au Nouveau Théâtre de Montreuil en 2013, la catastrophe est la point de départ de l’intrigue: suite à l’effondrement d’un immeuble en construction, cinq personnes se retrouvent coincées dans le sous sol d’une maison de retraite. Cet événement déclenche une série de réactions de la part des pouvoirs publics et des habitants de la ville, ce qui remet en cause le rôle de la catastrophe : alors que, traditionnellement, la catastrophe est conclusive dans l’esthétique théâtrale occidentale – elle est la conséquence des actions qui ont eu lieu durant la pièce – dans Une Faille, elle est l’élément déclencheur d’une action collective qui se développe au fil des spectacles. Parce qu’elle est brusque, violente et qu’elle touche un grand nombre de personnes, la catastrophe est certes provoquée par des choix antérieurs, l’utilisation de matériaux bas de gamme pour générer plus de profits, mais est surtout l’impulsion qui permet de créer une communauté agissante au sein de la ville. L’« après-catastrophe » est ainsi fait de bouleversements individuels et de réactions collectives. Désastre imminent, désastre immanent : Notes sur le Deuxième cercle d’Alexandre Sokourov Si la représentation du Désastre a souvent donné matière à réflexion, il y a aussi lieu de s’interroger sur le pouvoir suggestif de l’imagerie cinématographique pour produire un figurable catastrophique. D’où la question qui se pose: le cinéma peut-il penser la catastrophe par le biais d’un régime fictionnel sans aucune filiation historique directe ? Peut-il y avoir des relents du catastrophisme dans un récit filmique qui, en apparence, n’établit pas de lien direct avec un quelconque état de crise historique ? Nous nous proposons d’organiser une réflexion autour d’un long-métrage de fiction, celui du cinéaste russe Alexandre Sokourov, intitulé Le Deuxième Cercle, et dans lequel se retrouvent quelques-unes de ces interrogations. Le film narre l’errance d’un personnage affecté par la disparition subite de son père. Par l’entremise de ce drame intimiste, la Catastrophe traverse l’œuvre de manière à la fois muette, souterraine et rétrospective. Elle s’exprime au travers d’un travail sur la plasticité et la matière, parfois par des fulgurances figurales. Elle introduit aussi des dérèglements dans la bande sonore du film, inclut une désincarnation de la parole ou encore crée par sa seule présence une discordance historico-temporelle. De fait, tous ces éléments convergent vers une même finalité : l’imminence d’un Désastre éternel. |