Appel à contributions numéro 6 (archives)
Appel à contributions pour le numéro 6:
Cartographie des marges : les lieux du possible
Le texte est sous nos yeux, et nous distinguons clairement ses lignes noires et épaisses, qui forment le cœur sombre de la page. Mais nous oublions parfois que la lisibilité même du texte est permise par cet espace blanc qui l’encadre, ces silences entre les lignes et ces trous entre les mots. Le texte est lisible, car autour se déploie la marge, immuable. Dès notre plus tendre enfance, la marge s’impose à nous, sur la feuille d’un cahier, à gauche, délimitée par une ligne rouge. Représentant l’interdit, la marge est un espace d’attente, le lieu d’une correction, remarque, notation. Le contenu de la marge porte alors un jugement de valeur, qui impose un regard sur soi et sur le monde environnant. Une tension se crée entre le permissible et l’interdit, entre le centre et la périphérie, comme le souligne le sens étymologique du mot « marge », du latin margo, marginis, signifiant « bord », lequel renvoie à l’opposition initiale avec l’espace central. Mais la marge implique-t-elle nécessairement une rupture ou une séparation ? Malgré son isolement, elle reste néanmoins relative au centre, longe ce dernier et le trouble. Souvent définie comme un espace de transgression et de résistance, en retrait dans l’espace géographique, social, artistique, la marge s’écarte de la norme et du consensus, et glisse vers d’autres possibles. Elle est un espace de liberté, cette fameuse « marge de manœuvre ».
Ce numéro de Traits-d’Union vous propose d’investir les blancs de la page, cet espace protégé. Il autorise les gribouillages et les gloses, et surtout l’interrogation des notions d’à-côté, d’altérité et de cadre. Il souhaite questionner le caractère spatial fondateur de la marge et dessiner une cartographie interdisciplinaire des marge(s), comme point de passage, lieu de création et de liberté, à travers des approches critiques diverses.
Le comité de sélection s’intéressera particulièrement, mais non exclusivement, aux propositions d’articles traitant des questions suivantes :
– La question des marges peut être appréhendée dans l’univers scolaire. Les pédagogues savent combien la marge est une question centrale pour l’enseignant. Il est parfois nécessaire de s’éloigner du centre pour mieux revenir au cœur du savoir et du savoir-faire que l’on veut transmettre. L’élève en marge de la classe, celui qui s’assied toujours au fond, a sans doute beaucoup à dire des étroitesses du monde et du moule dans lequel on aimerait qu’il entre. En quoi cette place, choisie plus ou moins consciemment, à l’écart des camarades et à une distance conséquente de l’enseignant, est-elle révélatrice d’un comportement, d’un regard sur soi et d’une vision du monde spécifiques ? Lorsque c’est l’enseignant qui exclut l’élève et le place « en marge » de ses camarades, c’est la notion de recul, de changement de point de vue, qu’il serait alors intéressant d’analyser.
– Pour Maurice Blanchot, la littérature elle-même s’apparente à la marge, se situant à l’extérieur : « La littérature (…) dépasse le lieu et le moment actuels pour se placer à la périphérie du monde [1]». Souvent le blanc qui s’offre à nous sur une page est l’espace même qui permet au texte poétique de s’en détacher. En effet, une esthétique de la marge s’offre à travers la page blanche, mais aussi à travers des pauses, des soupirs, des interruptions, ou à travers une écriture fragmentée et discontinue. N’est-ce-pas d’ailleurs la préoccupation de Stéphane Mallarmé d’offrir un poème « parmi les marges et du blanc [2]» ? La marge est aussi un lieu textuel, un espace autour du texte, qui se recouvre de notes et s’étend donc au paratexte, selon Gérard Genette. Le texte marginal offre ainsi une nouvelle marge, invitant le lecteur à prendre part à la conversation, faisant alors du texte un espace ouvert.
– Le thème de la marge peut aussi être abordé dans une dimension artistique pour interroger la place de l’art dans la société, lorsque ce dernier s’inscrit en marge des structures ou des courants établis. Comment l’art, qui se place par définition à côté de la société en mouvement, nourrit-il cette société ? Nous pourrons nous intéresser, par exemple, aux artistes, à leurs travaux, aux différents processus de création qui questionnent les formes d’art « en marge » du domaine traditionnel. Les courants artistiques marginaux amènent également à s’interroger sur les frontières entre les genres, et notamment sur les œuvres situées à la croisée des chemins, mais aussi sur les minores, c’est-à-dire tous ces genres littéraires non prévus dans les arts poétiques et devenus pourtant objets de recherche à part entière. La marge reprend ainsi la problématique majeur/mineur évoquée par Gilles Deleuze et Félix Guattari [3], qui met en lumière ce qui s’inscrit en contrepoint d’une culture dominante.
– Un exemple dans l’art de la représentation serait Augusto Boal, qui créa le théâtre de l’opprimé en 1971, avec un théâtre populaire et de rue, en marge de l’espace consacré à une pièce théâtrale. Par ailleurs, la technique du hors-champ au cinéma ou au théâtre, expose paradoxalement la fonction narrative de la marge, devenue une esthétique.
– Être à la marge pour une personne, un personnage, c’est se situer là où la plupart des autres ne sont pas. Les héros de romans, par exemple, sont souvent des marginaux, car il faut bien souvent des ruptures, un pas de côté par rapport à la norme, pour créer une histoire. En sociologie, nous pourrions nous interroger sur la place des minorités, qu’elles concernent le genre, l’orientation sexuelle ou encore l’idéologie politique. En tant que poste d’observation, comment la marge forme un cadre, offre des frontières, et permet à la norme d’exister ?
– Dans un contexte de mondialisation, où les divisions entre centre et périphérie sont souvent une question de puissance économique, une cartographie des marges se dessine également en fonction de la langue. De quelles manières les langues marginales, comprises comme les langues minoritaires, les dialectes ou les patois, sont-elles représentées ? L’apprentissage des langues étrangères peut-il être une stratégie pour lutter contre la marginalisation des personnes dans un contexte de plus en plus cosmopolite ? Quel est le rôle des institutions, par exemple à l’échelle européenne, dans la préservation de la diversité linguistique ? Quels sont les rapports entre les langues marginales et les questions d’identité, puisque les frontières linguistiques ne se recoupent pas toujours avec les frontières géographiques ? L’espace marginal peut ainsi être questionné en termes géographiques, en considérant les problématiques centre/périphérie, mais aussi les interactions entre identité et altérité au sein d’un même ensemble géographique, culturel ou linguistique.
Les propositions d’articles, sous forme d’abstracts (500 mots +/- 10 %, hors bibliographie), en langue française, accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer pour le 14 septembre 2015 par courriel, au format .doc, à traitsdunion.bdp3@gmail.com.
Cet appel à contributions s’adresse uniquement aux doctorants de l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Pour information, les articles retenus après sélection du comité scientifique devront comprendre dans leur version finale environ 3500 mots +/- 10 % et seront à envoyer pour le 8 novembre 2015.
Mots clés : marge, marges, marginalité, spatialité, lieu, hors-champ, hors-scène, hors-texte, hors-cadre, frontière, ailleurs, altérité, centre, périphérie, création en marge, métatexte, invisibilité, minorités
[1]Maurice Blanchot, La Part du feu (1949), Gallimard, 1997, p. 326
[2]Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, t. 11, Gallimard, 2003, p. 220
[3]Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Minuit, 1975 et Capitalisme et schizophrénie, Tome 2, Mille plateaux, Minuit, 1980